Ce que disent les enfants de l’accueil familial
Seize départements visités, plus d’un millier d’enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance (Ase) entendus dans leur lieu de vie, des paroles retranscrites dans leur intégralité : cet exercice inédit réalisé pendant six mois par Gautier Arnaud-Melchiorre, ancien enfant placé, s’inscrit dans le respect de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).
Les articles 12 et 13 de cette convention prévoient que les Etats parties « garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant » et que « l'enfant a droit à la liberté d'expression ». Dans son rapport annuel 2020 sur les Droits de l’enfant, qui portait sur la prise en compte de sa parole, la Défenseure des droits Claire Hédon soulignait qu’« à l’heure où les discours sur l’enfant semblent très en vogue, la parole de l’enfant est étrangement absente ». Elle invitait à rendre effective leur participation, notamment en protection de l’enfance.
Le gouvernement en a donc pris acte en confiant cette mission en mars dernier à Gautier Arnaud-Melchiorre, qui retranscrit dans son rapport les paroles d’enfants et de jeunes majeurs et émet de nombreuses préconisations. Parmi elles, la nécessité de « solder définitivement » la question des actes usuels qui empêchent les enfants placés de vivre comme les autres, la nécessité de promouvoir le lien d’attachement avec les professionnels et de mieux lutter contre les violences institutionnelles.
Réalités contrastées
S’agissant des assistants familiaux, le rapport indique que les enfants qui y ont été entendus «exprimaient leur satisfaction quant à leur accueil et n’avaient que très peu de souhaits à formuler, à tel point que certains enfants ont pu s’interroger quant à l’intérêt de cette mission ». Equilibre de vie, « traitement qualitatif et préventif de leur santé », soutien dans la scolarité, accès à des activités culturelles et préparation à l’autonomie figurent parmi leurs déclarations.
Pour autant « ces réalités positives constatées contrastent avec celles rapportées par de nombreux enfants. Les paroles les plus violentes recueillies concernent en majorité l’accueil familial » indique l’auteur.
Ainsi « beaucoup d’enfants accueillis depuis la petite enfance sont en situation de rupture avec leur assistant familial au moment de l’adolescence ».
En cause : les ruptures d’accueil au moment de l’adolescence. Ces interruptions parfois très brutales engendrent une « grande souffrance », et peuvent « les marquer durablement au point d’ébranler leur confiance envers les professionnels et de compromettre tout projet d’avenir ».
Difficultés liées à adolescence, troubles du comportement « insuffisamment identifiés et traités » provoquent « un sentiment d’impuissance des professionnels qui peut aboutir à des situations de rejet. A fortiori, ces difficultés sont poussées à leur paroxysme lorsque les professionnels souffrent d’isolement ».
Difficultés non remontées
Certains enfants décrivent également un délaissement voire un « enfermement » le soir au moment entre le repas et le coucher dans certaines familles d’accueil. Certains déclarent s’être couchés « en ayant faim », réaliser des tâches ménagères excessive, subir des humiliations et des propos dégradants. Quand ils rencontrent des difficultés avec leur assistant familial, les enfants disent ne pas disposer d’un interlocuteur de confiance à l’ASE.
Assistants familiaux comme enfants ont exprimé le souhait de voir davantage les référents de l’aide sociale à l’enfance au domicile. Les assistants familiaux interrogés souhaitent également bénéficier d’un référent de l’ASE et d’un référent en charge de l’accueil familial, comme cela se pratique dans plusieurs départements.
L’argent
La question de l’argent dans l’accueil familial est également très présente chez les enfants, avec « le sentiment d’une monétisation de leur relation avec leur assistant familial ».
« D’autre part, le fait que de nombreux enfants indiquent qu’en fonction de leur consommation et de leur utilisation de biens ou de services, le fonctionnement de certains assistants familiaux les rend débiteurs d’une créance dont le paiement s’effectue sur l’argent de poche doit interroger profondément la manière dont sont accompagnés et formés les assistants familiaux » relève Gautier Arnaud-Melchiorre.
Droit au répit
La question des vacances est également abordée par les enfants pris en charge en famille relai en cas de congés de leur assistant familial, avec le regret d’être « un truc qui se balade » avec ses valises.
Epineuse question du droit au répit, fortement demandé par les professionnels mais dénoncé par des enfants qui « se sentent violemment discriminés et, pire encore, ont l’étrange sensation de ne plus avoir de chez eux ».
« Il semble nécessaire d’appréhender la violence de ce que cela génère chez les enfants à l’aune des conséquences des troubles abandonniques dont ils souffrent » relève Gautier Arnaud-Melchiorre.
Autre recommandation : une meilleure prise en compte par l’ASE de la place du conjoint dans l’accueil familial.
Enfin , des réponses sont attendues pour les enfants qui connaissent des troubles du comportement et qui peuvent traverser jusqu’à sept familles d’accueil afin de « ne pas avoir suffisamment de temps pour être en crise ».
Charte de l’enfant protégé
La remise de ce rapport samedi a été accompagnée par l’annonce d’une charte des enfants protégés à l’aide sociale à l’enfance, comme le prévoyait la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2019-2022. Ses quatre axes stipulent le droit d’être un enfant ou un adolescent comme un autre, « le droit que l’on prenne soin de moi et de prendre soin de moi », le droit d’être écouté et de donner son avis et le droit d’être accompagné pour devenir autonome.
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