Même éducative, la télévision n'a pas d'effet positif sur le développement de l'enfant
Les parents sont nombreux à se déculpabiliser lorsque leur enfant est devant la télévision, en se disant qu’il regarde une émission estampillée « éducative ». Ils ont tort, si l’on en croit les résultats des travaux de la québécoise Tania Tremblay, enseignante et chercheuse associée en neuropsychologie à l’équipe Qualité des contextes éducatifs de la petite enfance à l’UQAM (Université du Québec à Montréal), et rapportées début janvier par le journal La Presse. Étude selon laquelle les émissions éducatives, si elles ne le desservent pas, ne favorisent pas spécialement le développement du langage.
Deux catégories d’émissions étudiées
Tania Tremblay a étudié une cohorte de 149 enfants québécois âgés de 7 ans. Les six émissions ou films préférés de ces enfants ont été identifiés par leurs parents, puis divisés en deux catégories : éducatifs (par exemple, Dora l’exploratrice) ou divertissement (Ninjago). Les parents devaient aussi indiquer si les enfants avaient accès à une chaîne spécialisée, comme Yoopa ou Disney.
Bilan nul ou négatif
Les habiletés langagières des enfants ont ensuite été évaluées pour ce qui est de la compréhension verbale et des difficultés pragmatiques (problèmes d’organisation de la communication verbale). Le bilan est sans appel pour les contenus éducatifs : aucune corrélation n’est relevée entre leur visionnage et le développement du langage. Quant aux chaînes spécialisées pour enfants, dont le contenu relève le plus souvent du divertissement, elles sont clairement montrées du doigt. « Là, c’est très clair : quand l’enfant regarde une chaîne spécialisée, cela nuit à sa compréhension verbale, tranche Tania Tremblay. Cela perturbe vraiment le développement du langage. » Les difficultés sont proportionnelles au temps passé devant ces émissions : les petits téléspectateurs les plus assidus tiennent moins compte du contexte de communication, sont moins sensibles à leurs interlocuteurs, ont moins de contacts visuels avec les autres, respectent moins les tours de parole, saisissent moins bien l’ironie, etc.
A noter : sachant que plus le revenu d’une famille est faible et plus ses enfants ont accès à une chaîne spécialisée, un contrôle statistique du statut socio-économique des enfants de l’étude a été fait pour s’assurer que la plus faible compréhension ne soit pas due à ce statut, mais bien à l’accès aux chaînes spécialisées et destinées aux enfants.
L’écran limite les interactions humaines
Tania Tremblay décrypte ainsi les résultats obtenus : « La télévision ne va jamais offrir des conditions aussi propices au développement du langage que les interactions sociales ou les activités de littératie. Le temps que l’enfant passe devant la télévision ou l’ordinateur le prive d’interactions avec son entourage et d’activités comme la lecture. Ce sont ces deux activités qui sont essentielles au développement du langage. »
Limitation impérative
La chercheuse recommande aux adultes de respecter les recommandations des instances médicales. Ainsi, la Société canadienne de pédiatrie conseille de proscrire tous les écrans pour les moins de deux ans et de réduire le temps d’écran à moins d’une heure par jour pour les enfants de 2 à 5 ans. Une limitation de l’exposition et une attention qui doivent perdurer même au cours de l’adolescence.
Les écrans pernicieux dans leur ensemble
Des résultats que l’on peut mettre en relation avec ceux d’une autre étude, réalisée par la chercheuse Marion Collet à l’université de Rennes parue dans la revue Acta Paediatrica en novembre 2019 sous l’intitulé : « L’exposition aux écrans chez les jeunes enfants est-elle à l’origine de l’apparition de troubles primaires du langage ? ». Étude associant 167 enfants âgés de 3 à 6 ans et demi diagnostiqués avec des troubles primaires du langage, et 109 ne présentant pas de trouble du langage. L’étude a constaté que les cas (44,3%) et les témoins (22 %) exposés aux écrans (télévision, mais aussi ordinateur, smartphone ou tablette) le matin avant l’école étaient trois fois plus à risque de développer des troubles primaires du langage. Un risque qui monte à six fois plus lorsque cette pratique était associée au fait de discuter rarement, voire jamais, du contenu des écrans avec leurs parents.